[BDCA] Les paradoxes des questions puissantes

Cet article appartient au segment Brèves de Comptoir Agile (ou BDCA), dans lequel je partage mon opinion sur un sujet autour duquel j’ai récemment discuté avec d’autres coachs

On me pose régulièrement cette question : comment formuler une question puissante ?
Je me propose bien entendu d’y répondre (comme beaucoup avant moi) mais surtout je voudrais commencer par décrire le paradoxe automatiquement déclenché par cette demande : quand on essaie de formuler une question puissante, on réduit drastiquement nos chances de le faire.
Encore plus étonnant, cela provoque un deuxième paradoxe, une sorte de corollaire du premier : si je connais les méthodes et les astuces pour énoncer des questions puissantes et que je m’efforce de les utiliser, alors je réduis drastiquement mes chances de réussir.
La vraie question devient alors « comment poser une question puissante, puisque je veux vraiment aider, promis, sachant que si j’essaie je n’y arriverai pas ? »

Méprises habituelles

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Comment se fait-il que je dise qu’essayer d’apprendre à faire des questions puissantes compromet notre réussite alors que partout ailleurs on détaille comment faire ?
Tout simplement parce que beaucoup de choses décrites ailleurs ne sont pas vraiment des caractéristiques nécessaires et suffisantes d’une question puissante mais plutôt des idées plus ou moins fausses ou le résultat de biais et de raccourcis cognitifs.

  • Prenons par exemple le classique « une question puissante doit être une question ouverte ». Ici, on confond un facteur augmentant les chances de succès avec une condition nécessaire.
  • L’autre grand type de biais est de confondre un résultat fréquent avec une condition nécessaire. Ainsi, une question puissante ne laisse pas nécessairement notre interlocuteur sans voix pendant un moment.

« Vas-y, gâche-moi mes chances de réussite, alors ! C’est quoi finalement, une question puissante ? »

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C’est tout bêtement une question qui met vos interlocuteurs au centre des préoccupations, qui n’est là que pour eux. Cette question va les aider à explorer leurs schémas mentaux, leur modèles logiques, leur représentation du monde. Cette question va les pousser à sortir des autoroutes toutes faites qu’ils ont créées dans leur tête et à emprunter des chemins détournés et peu utilisés. Surtout, cette question va leur permettre de trouver des endroits dans ces schémas mentaux qu’ils estiment nécessiter une mise à jour ou une correction.
Du coup, essayer de poser une question puissante vous met au centre de la discussion, insidieusement : le but de la question n’est pas lié à 100% à l’interlocuteur, mais une part est pour vous, qui souhaitez réussir ou prouver quelque chose.

Cela signifie que ça peut être une question fermée (voir l’exemple plus bas), du moment qu’elle aide nos interlocuteurs à envisager leur représentation du monde autrement.
Cela veut également dire que cette question ne sera pas forcément suivie immédiatement d’un moment de silence pensif. Certaines personnes vont mettre à jour leurs modèles très rapidement et rebondir dans la conversation sans qu’on ait perçu physiquement quelque processus interne que ce soit, d’autres vont préférer corriger leur carte mentale ultérieurement, de façon asynchrone.
Il n’y a donc presque aucun moyen de savoir à l’avance si une question sera puissante ou non. Pour ça, il faudrait connaître précisément la psyché de nos interlocuteurs et leur logique afin de les aider à agir dessus, de la reprogrammer…
Cela dit, si vous voulez vraiment essayer, il y a un immense champ de recherche qui s’offre à vous : la PNL.

« OK, maintenant que tu as ruiné nos chances de réussite, pourrais-tu nous aider à les réaugmenter un peu ? Comme ça, on sera quitte. »

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Il y a effectivement quelques facteurs qui peuvent améliorer la probabilité qu’une question soit réellement puissante.

  • Évidemment, on en a parlé dans la section « méprises », le fait que la question soit ouverte aide. Tout simplement parce que la réponse a plus de chances de résider dans un recoin des schémas mentaux et la trouver peut nécessiter une exploration minutieuse des modèles logiques. Mais gardons bien en tête que ce n’est pas un prérequis !
  • Il est préférable que la question soit sincère et dénuée d’arrière-pensée. Cela vous aidera à garder votre interlocuteur au centre de la discussion puisque vous aurez moins d’objectifs tacites. Cette question doit vraiment vous aider à comprendre et voir la représentation du monde de votre interlocuteur, mais surtout aider votre interlocuteur lui-même à le faire. Ainsi, si vous voulez poser une question puissante, vous déplacez l’épicentre de la discussion sur vous : vous voulez prouver (à vous-même ?) que vous posez des questions puissantes. Ça devient la préoccupation de la discussion et prive donc votre interlocuteur de cette position.
  • Essayez de trouver des questions que votre interlocuteur ne s’est jamais posées ou des angles d’approche jamais utilisés. De cette façon, vous maximisez les chances que la personne procède à une inspection minutieuse de ses schémas et trouve ainsi un endroit à mettre à jour. Voyez la discussion comme un cercle avec les modèles de votre interlocuteur au centre et vous parcourez le périmètre du cercle pour aider à l’inspection de toutes les facettes de ce qu’il y a au centre.
  • Notez que le cercle est une bonne image puisqu’il induit une notion de rayon, de distance. Trouvez la distance qui met votre interlocuteur à l’aise, le ton et le vocabulaire qui rendent la conversation confortable pour lui. Cela diminuera la probabilité que l’interlocuteur protège son monde intérieur derrière une barrière infranchissable. Il existe plein de techniques pour moduler sa communication. CNV et PCM en sont deux exemples connus.
  • Une question puissante est souvent précédée d’autres questions qui « préparent le terrain », qui permettent de trouver une ouverture ou une fenêtre peu utilisée sur la représentation du monde de votre interlocuteur.
  • ellipseÉvitez également les questions dont vous connaissez ou croyez connaître la réponse parce que, dans ce cas, vous allez involontairement essayer d’aligner la personne avec vos convictions, de la guider quelque part. Si vous faites cela, vous n’avez plus un cercle avec un centre, mais une ellipse avec 2 foyers. Certes, votre interlocuteur occupe toujours l’un d’entre eux. Vous occupez l’autre. Le risque, c’est que selon l’angle adopté, vous pouvez vous trouver entre l’objectif et votre interlocuteur.
  • Soyez familier avec les biais cognitifs et comment les contrer (certains concepts de la questiologie ou de la PNL tels que le « recadrage«  ou la « dissociation«  peuvent aider).

« Mais d’après l’intro (2e paradoxe), ça ne peut toujours pas marcher… »

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Effectivement, si vous utilisez consciemment ces astuces, les techniques de la questiologie, de la PNL ou tout autre framework de questions de coaching, vous destituez votre interlocuteur de sa position centrale dans la conversation et y placez l’expérimentation et votre apprentissage personnel
Le truc, ce serait de les utiliser inconsciemment alors ? Dans ce cas, forcez-vous à les utiliser jusqu’à ce que ça devienne un réflexe (une sorte de « mémoire musculaire mentale » si jamais ça avait du sens). Alors, oui, au début vous allez pas mal diminuer vos chances de poser des questions puissantes, mais après…

Exemple : coaching d’un élève qui rate tous ses examens

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Cet exemple est adapté d’un TED Talk de Frédéric Falisse sur la questiologie. Il s’agit d’un dialogue entre un coach et un adolescent qui rencontre beaucoup de difficultés lors de ses examens scolaires, malgré les importants efforts qu’il fournit.

Coach : « Dis-moi ce qui se passe lorsque tu bloques devant tes interrogations. Pourquoi bloques-tu ?

Ado : « Je ne sais pas, pourtant je travaille beaucoup avant, je révise, je fais des exercices… »

Bien que la question soit ouverte et centrée sur l’adolescent, cela ne l’aide pas vraiment. Il s’est sans doute déjà posé cette question avant sans pouvoir y répondre. Ce n’est clairement pas une question puissante.

Coach : « Que ressens-tu lorsque tu fais face à tes contrôles ? »

Ado : « Je suis terrorisé… J’ai peur de les rater et du coup de rater ma vie, de compromettre mon avenir. »

Ici, le coach change d’approche. Il adopte un autre angle, celui du ressenti et de l’émotion plutôt que celui de la relation cause-conséquence. Malgré cela, la question du coach ne peut toujours pas être qualifiée de puissante. Les schémas mentaux de son interlocuteur ne semblent toujours pas avoir été mis à jour. L’adolescent connaissait également la réponse à cette question.
Ce nouvel angle, cependant, offre une ouverture au coach.

Coach : « Donc rater un examen va ruiner ta vie et te fermer toutes les portes ? »

Ado (dont on lit clairement le soulagement sur le visage) : « Non bien sûr. Un seul, non. C’est vrai, si je les prends un par un, l’enjeu est bien moins élevé. »

Ici la question du coach est fermée et repose sur la technique de recadrage mentionnée plus haut. L’adolescent ne fait pas de pause avant de répondre. Pourtant son attitude semble indiquer qu’il vient de réaliser quelque chose. Sans doute a-t-il détecté une faille dans sa représentation du monde, un biais. Cette question du coach peut être considérée comme puissante.

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