Mieux qu’un plan de transformation d’organisation, une carte d’état-major

Lors d’une de mes interventions chez un précédent client canadien, j’ai été confronté à un challenge inédit pour moi. Autant l’audit de l’organisation que j’ai mené a été bien accueilli, les faiblesses relevées partagées et acceptées, autant le plan pour améliorer les problèmes observés a été mis à l’épreuve, chaque action remise en question. Et je me retrouvais de plus en plus dans des discussions lors desquelles chacun exposait son avis et pensait avoir raison.

Manager : Pourquoi veux-tu commencer par ça ?
Moi : C’est ce qui me semble le plus urgent à régler vu mes observations.
Manager : Non, je pense que cette « autre intervention » est plus judicieuse.

Qui a la meilleure opinion ? Impossible à dire. Jusque-là le statut d’expert, qu’on m’accordait tacitement en m’engageant, m’évitait de tomber dans ce genre de travers. Mais cette fois ça ne suffisait plus. Comme tout coach en quête d’alignement, j’ai immédiatement pensé à recourir au Management Visuel. Mais afficher une « roadmap » ne m’aurait pas tiré d’affaire. Même en la co-construisant, on aurait juste concentré l’ensemble des discussions autour de la meilleure opinion au sein d’un atelier peu efficace. Il me fallait autre chose, c’est pourquoi j’ai décidé de construire une carte d’état-major de la transformation. Celle-ci permettra de situer les forces en présence, leur état, et aidera à décider quel mouvement est le plus pertinent pour atteindre notre but.

Dans la suite de l’article,  nous tenterons de démontrer pourquoi cette carte est meilleure qu’un plan (on fait ce qu’on peut niveau jeux de mots) en détaillant son fonctionnement. Un autre article sera, plus tard, consacré aux astuces permettant de la construire efficacement. Pour l’instant gardez juste à l’esprit qu’elle est d’autant plus utile qu’elle est partagée, et donc, idéalement, co-construite.

Chaque bataille doit avoir un sens

Si on doit établir une carte de combat, il vaut mieux savoir pourquoi on se bat. Cela permet de mieux choisir où mettre de l’intensité et où préserver nos forces.
Il s’agit tout bêtement de rendre explicite le but de notre transformation.
Dans mon exemple, il s’agit de :

Livrer plus vite les éléments d’un produit que l’on souhaite faire vivre sur le long terme

Chaque carte doit avoir une référence

reference+goalSur une carte traditionnelle, c’est le nord qui sert de référence et permet d’orienter tout ce qui est représenté.
Dans notre cas, c’est un peu différent. Il s’agit plutôt d’une personne, celle qui sera le meilleur témoin de nos progrès (vers le but de notre transformation). Souvent, il s’agit d’un sponsor ou d’un client, mais pas toujours. Si vous avez utilisé des techniques issues du Grimoire pour réaliser un audit de l’organisation, vous devriez avoir une idée de qui est cette référence puisqu’il s’agit d’une des questions à poser à votre mandataire décrites dans cet outil.
Vous pouvez choisir de représenter votre référence énonçant le but de votre transformation sur la carte.

Chaque carte doit avoir une représentation de l’espace

map-axisMaintenant que l’on a une référence pour notre carte, on va pouvoir se doter d’une véritable représentation spatiale de notre transformation. Pour ce faire, nous allons tracer deux axes perpendiculaires.

  • Sur l’axe vertical, nous représenterons la distance vis à vis de notre référence, du témoin de notre transformation. Plus un objet est visible de cette personne, plus haut il sera sur la carte.
  • Sur l’axe horizontal, nous représenterons le degré de maîtrise que nous possédons pour chaque élément affiché. Pour cela, nous utiliserons les catégories suivantes : « à essayer », « nouvelle pratique », « pratique émergente », « bonne pratique », « partie intégrante de la culture de l’équipe ».
    Plus une pratique est maîtrisée au sein de votre organisation, plus loin elle sera sur la droite.

Notez, du coup, l’importance du choix de la référence. Deux cartes avec les mêmes éléments peuvent avoir l’air totalement différentes avec un simple changement de référence. Ce qui est très visible par un manager de votre organisation est sans doute assez différent de ce à quoi un de vos client accède.
Parfois, le choix de la référence change même complètement le contenu de la carte en nous orientant vers des choix totalement autres comme dans l’illustration ci-contre. Celle-ci permet de comparer deux cartes qui traitent de la même transformation (même but, même organisation) mais avec l’utilisation de personnes différentes comme point de repère.

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Chaque carte d’état-major doit faire figurer les forces en présence

Nous allons placer trois types d’objets sur notre carte : des pratiques, des acteurs, des thèmes.

  • Les pratiques, sont les habitudes, les attitudes et les outils, existants ou à acquérir, que vous estimez utiles à l’accomplissement de l’objectif de votre transformation.
    Vous placerez ces éléments sur le plan en fonction de leur « distance vis à vis de votre référence » et du degré de maîtrise correspondant au sein de l’organisation concernée par la carte.
    Vous pouvez ensuite tracer des liens entre les pratiques si vous le souhaitez. Ces liens peuvent représenter une relation de dépendance, une connexion logique, etc.
  • 20180727_123532Les acteurs sont les rôles qui possèdent ou devrait posséder les caractéristiques que nous avons appelées « pratiques » juste au dessus. Dessinez des acteurs à proximité de chaque pratique affichée sur la carte.
    Prenez bien garde à n’utiliser que des rôles sur lesquels vous pouvez agir. Si vous avez des pratiques dont tous les acteurs sont en dehors de votre champ d’action, de votre portée, il est inutile, voire contre-productif, de l’afficher
  • Les thèmes sont optionnels mais permettent de regrouper vos pratiques pour un peu plus de lisibilité. Ce sont un peu les armes de vos troupes (infanterie, armée de l’air, etc.). Vous pouvez utiliser un code couleur pour chaque thème par exemple.

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Chaque carte d’état-major doit faire figurer les mouvements de troupes

map-movesVous pouvez faire figurer sur la carte les mouvements en cours : les pratiques sur lesquelles des actions sont en cours et la direction dans laquelle on pense qu’elles vont se déplacer. Vous pouvez également rendre visible les futurs mouvements que vous envisagez. Notez que les déplacements ne sont pas seulement de la gauche vers la droite mais peuvent aussi se faire horizontalement (ou les deux à la fois bien entendu) si on souhaite agir sur la visibilité d’une pratique.
Notez que, dans notre exemple, nous avons décidé de nous limiter à une action en cours par thème.

Comment utiliser la carte ?

battle-mapLa carte permet évidemment d’établir une stratégie de transformation, de prioriser ses actions de coaching et d’amélioration de l’organisation. Hors dépendance, les priorités sont sûrement en haut à gauche de votre carte.
La carte devrait aussi vous aider à définir le contenu de vos prochaines formations, les sujets étant probablement à piocher parmi (les derniers éléments d’une chaîne de dépendance dans) les deux colonnes de gauche. De quoi vous aider dans la danse des postures que les accompagnateurs agiles spécialisé doivent maîtriser.
D’ailleurs, si vous êtes vous-même un de ces accompagnateurs (qu’on vous appelle coach, Scrum Master, RTE ou autre), la carte va vous permettre d’asseoir les bases de votre mission :

  • Vous pouvez rendre votre rapport d’audit plus visuel et impactant, et vos préconisations plus accessibles.
  • Vous pouvez rendre clair et facilement partager votre mandat : le but qu’on vous a assigné, et qui devrait être celui affiché sur la carte, ainsi que les pouvoirs qu’on vous a conférés pour y parvenir et qui devraient correspondre aux pratiques placées sur la carte
  • Vous pouvez rendre clair et facilement partager le périmètre sur lequel vous avez la possibilité d’agir. Il s’agit, sur votre carte, des différents acteurs concernés. La carte représente un atout non négligeable lorsque vous devez décider de répartir les périmètres entre plusieurs coachs ou pour mettre en évidence tout ce qui est hors de votre portée
  • Vous pouvez utiliser la carte pour rendre claires les actions de transformation en cours et montrer les progrès de l’organisation. Cela peut s’avérer très utile pour vos points réguliers avec votre mandataire.
  • Vous pouvez l’utiliser pour définir un état de l’organisation que vous considérez comme « cible » et qui serait donc l’objectif de votre mission de coach. Ainsi, il vous sera possible d’avoir une estimation de l’avancement de votre transformation.
  • Les thèmes peuvent aussi vous aider à définir les grands chantiers de la transformation. En combinant cette notion à celle d’avancement, vous avez un puissant outil de promotion de la transformation auprès des managers qui la suivent de loin.

Crédits

Cette carte d’état-major de transformation est inspirée des travaux de Simon Wardley. Celui-ci a mis au point un système de visualisation d’une entreprise avec à l’esprit les cartes militaires et les idées développées par Sun Tzu dans L’Art de la Guerre. Cette représentation l’aide à prendre les meilleures décisions stratégiques pour son entreprise. En attendant la publication de son livre traitant du sujet, vous pouvez suivre l’avancement de sa rédaction ici

 

 

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